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D'astres en désastres
24 juillet 2014

Chronique d'un échec annoncé #1

J'étais en stage de pédiatrie, au début de l'année, et il y avait des externes de pharma. Le très séduisant Pierre, si beau que je finis par passer outre son prénom pour lui faire des avances en lesquelles j'avais peu de foi, et qui s'avérèrent effectivement un fiasco. Et Marion. Timide jusqu'à en paraître hautaine, restant toujours dans son coin, froide et conne pour beaucoup. Mes collègues la trouvaient effacée, sans humour, prenant toujours de grands airs. Prétentieuse.

Rien à voir avec la fille avec qui j'avais sympathisé petit à petit. Il m'avait suffi de quelques traits d'humour pour la voir sourire, l’œil amusé, sans dire un mot pourtant, ainsi que je le faisais moi-même pendant longtemps, écrasée par cette phobie sociale qui créait un vide abyssal dans ma tête dès qu'on me parlait. C'est ainsi que je la percevais : elle n'était pas hautaine, elle craignait simplement de paraître stupide quand elle parlait avec quelqu'un de nouveau. Puis elle était fragile, et ses réactions interprétées comme une susceptibilité mal placée et un côté très « premier degré » étaient pour moi un aveu de mauvaise estime de soi, de manque de confiance.

Elle était jolie, très jolie même, mais aussi extrêmement distante. Quintessence de la femme fatale des films de James Bond. De longs cheveux noirs éclatants, des yeux du même ton contrastant avec une peau diaphane, une bouche délicieuse soulignée de rouge à lèvre violet foncé, et l'air hostile de la proie méfiante. La fille trop complimentée avec idées derrière la tête, trop abordée sous couvert d'amitié pour mieux pousser à la gaudriole, trop ciblées par tous les mâles en rut rendus sûrs d'eux par l'alcool des soirées. Tout dans son attitude, son maquillage, ses vêtements criait : « Pas touche ».

Alors pourquoi m'a-t-elle laissée approcher ?

Peut-être ma bonhomie naturelle l'a-t-elle mise en confiance. C'est qu'avant qu'on me le dise, je n'avais même pas remarqué ses airs hautains. Son manque d'aisance était si criant que je n'avais pas imaginé qu'il pût être perçu autrement, et comme toujours en présence de quelqu'un d'aussi mal à l'aise que Moi-d'avant, je me hâte de le prendre sous mon aile et fais le pitre pour le détendre. C'est aux forts de protéger les faibles, aussi je mets un point d'honneur à tendre la main vers ceux qui me croient au-dessus d'eux pour les faire monter sur le piédestal qu'ils m'ont construit. Certains l'ont fait pour moi, parfois sans s'en rendre compte, et ça m'a beaucoup aidée. Disons que c'est ma façon de renvoyer l'ascenseur.

Peut-être aussi s'est-elle senti moins prédatée par un interlocuteur de sexe féminin. Sur ce point, et bien que les choses aient changé par la suite, je me dois de préciser qu'elle avait tout à fait raison : les premières semaines se déroulèrent en toute innocence de ma part.

Quel a été l'élément déclencheur déjà ? J'ai passé des semaines à sympathiser avec elle sans la moindre ambiguïté, et quelque chose s'est produit qui a modifié mon angle de vue.

Oui, je crois bien que c'est cela : je discutais un soir avec un ami, et je découvris qu'il la connaissait. Pas personnellement, mais de tête et de réputation : elle était bonnasse et plein de mecs s'y étaient attaqués, sans qu'aucun ne réussisse jamais à s'arroger les faveurs de la belle.

Attends voir... une fille plus que mignonne, très mal à l'aise socialement, repoussant des hordes de mâles dont certains dans le lot avaient nécessairement des intentions nobles, studieuse jusqu'au surinvestissement, sage à l'excès, pour qui l'on n'avait jamais eu vent d'un copain... et qui ne parle, ne sourit qu'à moi, moi et mes cheveux courts et mon style à la garçonne.

L'évidence de la chose m'apparut soudain dans toute son ampleur, et je restais coite devant mon aveuglement passé. Bien sûr ! Pour employer une métaphore surusée, les pièces du puzzle s'étaient subitement imbriquées les unes dans les autres pour révéler le tableau d'ensemble, que j'avais eu sous les yeux depuis le début : Marion préférait les filles. Cela tombait sous le sens.

Me serais-je intéressée à elle si j'avais continué d'ignorer ce penchant lesbien ? Plus dérangeant encore : me serais-je intéressée à elle si je n'avais pas soupçonné qu'elle fut, dans une certaine mesure, troublée par mes charmes ?

Tout à coup je lui trouvais mille attraits, se rajoutant à son physique qui certes m'émouvait depuis le début. J'épiais ses faits et gestes pour y déceler des signes d'attirance pour moi, et en trouvais. C'est vrai qu'elle ne parle qu'à moi, et qu'elle s'amuse de tout ce que je dis, même quand ce n'est pas hilarant. C'est vrai aussi qu'elle traîne négligemment autour de moi comme moi autour d'elle depuis que j'ai ouvert les yeux, saisissant chaque occasion de discuter et rebondissant sur le moindre événement pour relancer la conversation.

La deuxième moitié du stage se déroula ainsi, flirt subtil pour ne pas dire incertain, et lorsque je lui demandais son numéro sous le prétexte d'organiser le repas de stage, elle me le donna tout naturellement.

Elle ne vint pas au repas de stage, et j'en étais fort désappointée. Je voyais mourir le maigre lien qu'il y avait entre nous, la toute petite ridicule occasion que j'avais de la voir en-dehors du boulot. Je me décidai, sans trop y croire et avec beaucoup de gêne, à lui envoyer un message proposant qu'on se fasse un truc un soir pour compenser son absence à cette soirée. Elle accepta avec enthousiasme et moult smileys, mais sans fixer de date. Aïe. Étaient-ce des paroles en l'air, par politesse ? Je voulais insister, mais craignais de le faire trop lourdement, d'autant plus s'il s'avérait qu'elle était parfaitement hétéro et que tout ça n'était qu'une farce de mon esprit, prompt à s'inventer des histoires à ma convenance. Le souvenir d'Emilie m'avait laissé une amertume tenace, et pour rien au monde je ne voulais revivre pareil camouflet à cause d'une erreur d'appréciation. Je ne soupçonnais certes pas Marion de se moquer sciemment de moi, cependant elle pouvait aussi bien être une fille très timide qui s'investissait beaucoup dans une nouvelle relation amicale parce qu'elle n'en avait que peu d'autres. Je ne l'entendis jamais mentionner une soirée entre amis, un déjeuner chez une copine, un verre avec un ami. Après tout, si phobie sociale il y avait, elle ne jouissait peut-être pas de la présence d'amis fidèles avec qui faire tout cela. Ce faisant, elle projetait sur moi tout ses espoirs affectifs platoniques, moi qui lui avais inspiré confiance par mon absence totale de mauvaises intentions.

Non seulement j'avais peur de cela, mais en plus je culpabilisais de nourrir à son égard des intentions moins glorieuses que ce qu'elle pensait. Je retirais une certaine honte à l'idée de cette fille s'éprenant amicalement de moi, s'imaginant déjà avec joie nos futures soirées entre copines autour d'un cocktail léger et fruité pour se faire des confidences sur les garçons et se soutenir mutuellement, alors que dans le même temps, je m'imaginais profiter des affres de l'ivresse pour oser me rapprocher d'elle jusqu'à ce qu'elle consente à se dévêtir pour moi.

 Les semaines s'écoulèrent et nos échanges de textos, non seulement ne se tarirent pas, mais s'allongèrent même au fil du temps ! Il y eut néanmoins, à plusieurs reprises, des jours entiers sans contact, parce que j'avais cru la vexer et je préférais lui laisser de l'air de peur de la faire fuir. En vérité elle n'était jamais vraiment vexée, et parfois la situation se produisit avec une inversion des rôles. Je savais qu'elle ne sortirait pas avant la fin de ses examens, mais cela ne me rappelait que trop le tour de passe-passe d'Emilie : on devait se refaire une sortie une fois que ses examens seraient passés, elle aussi.

Le Svalbard me permit de mesurer notre degré d'attachement : quand j'en rentrai, nous échangeâmes de longs messages enthousiastes concernant mon voyage et le récit qu'elle m'invitait à lui en faire autour d'un verre. Voilà qu'elle relançait l'idée d'une soirée ensemble ! J'étais rassurée, ce n'était pas toujours moi qui remettait ça sur le tapis.

Les choses se gâtèrent vers la fin du mois de mars : de refus en refus, ma conviction sur son envie de me voir s'était effritée. Au point qu'un soir, alors que j'étais au Dickens avec Mothep et que je discutais avec celui-ci de ma belle insaisissable, nous tombâmes d'accord sur le fait qu'il valait mieux jouer le tout pour le tout. J'attrapai mon téléphone et lui envoyai le message suivant : « En fait je te trouve très jolie, et je voulais pas annuler lundi parce que ça ressemblait vaguement à un rencard alors ça me branchait bien. ». Plus qu'à attendre.

 

Elle ne me répondit que le lendemain : « Désolée pour la réponse tardive, je t'avoue que ton dernier message m'a un peu gênée... Je vois que t'es plutôt directe comme fille. Et pour lundi, je t'en veux pas d'avoir annuler. »

J'interprétai cela comme un déni massif de ma déclaration, n'y trouvant aucune réponse, favorable ou non. Et ce déni tendait à prouver qu'elle n'avait jamais vu la situation sous cet angle, je m'étais bel et bien fourvoyée depuis le début. Moi et mes grandes histoires.

« Ouais. Je suis plutôt stupide aussi. Désolée de t'avoir embêtée, j'ai tendance à me faire des films sans me rendre compte qu'en vrai il se passe rien. Laisse tomber. »

Quatorze minutes. Avait-elle laissé son téléphone le temps de faire autre chose avant de voir mon message, ou est-ce le temps qu'il lui fallut pour oser m'envoyer le réponse qui me fit m'asseoir : « Le prend pas comme ça s'il te plaît. Désolée, je me suis mal exprimée sans doute. Tu te fais pas de film. C'est juste que je suis pas habituée... et comme t'as été plutôt cash, ça m'a un peu perturbée. »

Il me fallut un certain temps pour intégrer ce que ce message voulait dire. Tout était vrai. Elle me plaisait, et pour la première fois depuis Marine, je lui plaisais. Vu la tournure des choses, il n'y avait rien qui puisse empêcher notre rendez-vous d'avoir lieu, et de bien se passer !

S'ensuivit une grande conversation où je m'excusais à demi d'avoir vendu la mèche si brutalement, tout en expliquant qu'il m'était déjà arrivé de me tromper sur toute la ligne et de me retrouver avec un faux rencard avec une fille tout ce qu'il y a de plus hétéro, et que je n'avais pas bien vécu la chose. De son côté, elle m'avoua que c'était la première fois qu'elle flirtait avec une fille, elle ne savait pas comment s'y prendre et se sentait vite dépassée par la situation. Encore quelques échanges puis nous décidâmes communément d'enterrer ce sujet gênant. Après quelques jours de flottement, nous reprîmes notre rythme de conversation habituel avec toutefois une configuration totalement différente pour moi : je ne courais plus bêtement et désespérément après une fille probablement hétéro, je flirtais ouvertement avec une jolie fille sensible à mes charmes. Cela ne m'était jamais arrivé.

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  • J'écris pour ne jamais oublier. L'embrasement de mes désirs comme la striction de mon cœur. Les trémulations vigoureuses de la vie et les coulées de silence de la mort. Tout, de plein fouet, avec la sensibilité qui est mienne et mon interprétation biaisée.
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