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D'astres en désastres
20 juin 2014

When you came in, the air went out

Le contexte n'est pas important. Tout ce qui compte, c'est qu'elle danse.

Je ne la quitte pas des yeux depuis qu'elle est montée sur ce bar, moulée dans son déguisement de tigresse. La musique électro s'est interrompue, et à la place, un Noir joue des percussions à un rythme effréné. Des sonorités tout droit venues d'Afrique, évoquant immanquablement la course d'un zèbre fuyant ses prédateurs. Le claquement rapide invite à une danse saccadée, qu'elle exécute du haut de son piédestal avec une aisance insolente.

Ses cheveux filasses rappellent autant la crinière d'un lion que la permanente ratée d'une pauvre fille des bas quartiers, son maquillage outrancier l'enlaidit au-delà des mots, et ses postures sulfureuses ne font qu'harmoniser le tableau d'ensemble : celui d'une pute des bas-fonds vieillie par la clope et fleurant bon la chaude-pisse.

Quand les tam-tams se taisent quelques instants, elle joue avec la queue de son costume et harangue la foule d'un regard brûlant. Quintessence de la vulgarité, infâme perdition du sexe féminin ! Elle ne m'inspire que le dégoût le plus profond, j'abhorre cet entrelacs de vices innommables !

Mais alors la musique reprend, et avec elle, la chorégraphie convulsive et hypnotique de l'Abjecte. Ses muscles se contractent et se relâchent en parfaite synchronie avec la trame musicale, comme si elle s'imprégnait parfaitement des vibrations de l'air pour les retranscrire dans ses gestes précis. Je ne peux détacher mon regard de ses ondulations frénétiques, de cette mise en mouvement de chaque parcelle de son corps qui en révèle les moindres détails. La cambrure scandaleuse de ses reins, la fermeté de sa poitrine dressée fièrement en une bravade étourdissante, la courbe voluptueuse de ses fesses qu'elle souligne par d'ostensibles mouvements du bassin, ses cuisses outrageusement écartées en un appel à la luxure sans équivoque. Une transe extatique, bondissante, exécutée d'un pied sur l'autre en une cadence folle.

Je voudrais me détacher de ce repoussant spectacle avec mépris, au lieu de quoi je la dévore ardemment du regard. L'insanité de cette pécheresse m'éveille des désirs inavouables, et alors que je les voudrais dissimulés sous un masque d'indifférence, mes yeux me trahissent en virevoltant de droite et de gauche au rythme des secousses de ses seins et de ses fesses. Quelle torture de la voir se trémousser ainsi ! Ses à-coups m'évoquent mille perversions, embrasant mes sens avec férocité. Je me suis déjà rendue coupable de quelques égarements malsains avec d'autres filles, néanmoins jamais cela n'avait atteint le stade d'une telle obsession. Je vendrais mon âme pour qu'elle vienne danser devant moi, rien que pour moi, qu'elle continue ce simulacre de fornication jusqu'à l'aube !

C'est en suivant le regard de cette féline lubrique que je m'aperçois qu'elle n'est pas seule dans cette parade. Sur le bar d'en face, l'autre serveuse se livre à la même danse corrompue. Et si la première porte le titre d'Abjecte, la seconde, dans son déguisement de mère Noël sexy, est une délicieuse Ingénue.

Les cheveux noirs et raides impeccablement coupés, des yeux bleus foncés, un sourire charmeur, un teint de jeune fille, et par-dessus tout, une façon de bouger à la fois gracieuse et formidablement provocante. Une sensualité torride dans chaque mouvement, affolant mon désir déjà incandescent. Ses mains caressantes, sa gorge appelant aux baisers, ses hanches dévoilées par fausse inadvertance, et, grands dieux, ses fesses qu'elle balance d'avant et d'arrière, m'échauffent l'esprit jusqu'à en perdre la raison. Les tam-tams rajoutent à la primalité de la scène, et mes pulsions brûlantes supplantent tout ce qu'il y a d'autre en moi. La décence et la retenue sont reléguées au dernier rang de mes priorités, balayées par une excitation démesurée.

Je suis possédée tout entière de l'envie de sentir sa peau sous mes mains, ma langue, son souffle court, sa poitrine offerte, la douceur de ses jambes et l'étreinte impatiente de ses cuisses. Je la veux sous moi, sauvageonne domptée pour quelques heures, acceptant que je la prenne toute la nuit et que je m'en aille au matin après un dernier baiser. Je rêve de faire frémir cette fille ravissante sous mes assauts lascifs, instiguant doucement en elle un émoi à la hauteur du mien. Qu'elle danse donc pour moi, dans l'intimité d'une chambre, préambule à une décadente nuit blanche. Je la déshabillerais des yeux jusqu'à n'en plus pouvoir, alors je m'avancerais vers elle pour me joindre à ce rituel érotique entêtant. J'effleurerais sa cuisse, remonterais lentement ma main vers ses fesses. Je lui enlèverais sa jupe sans interrompre sa danse. Je me pencherais pour embrasser son flanc, sentant l'ivresse s'emparer d'elle. Elle retirerait d'elle-même le haut de son costume, me dévoilant sa poitrine parfaite et m'allumant du regard. Elle a ce merveilleux air innocent, quand elle joue de ses attraits, qui me fait chavirer. Ses mouvements de bassin suggestifs auraient, ont déjà, une telle emprise sur moi. Je n'aspire qu'à les exécuter avec elle, collée contre son dos, la tenant par la taille et couvrant sa nuque de baisers enfiévrés. Je remonterais une main vers son sein pour le caresser, et descendrais l'autre, très lentement, vers...

Peut-être est-ce pour ça que je ne me suis jamais sentie à l'aise dans ce genre d'endroit. Il y a bien sûr une part de honte à ne pas savoir me déhancher de la sorte, ne pas savoir éveiller le désir chez les garçons avec ce naturel désarmant dont font preuve toutes les autres filles. Je ne me suis jamais départie de cette sensation d'être atrocement gauche et ridicule quand je danse. Mais il y a aussi cette honte, plus profonde et plus sourde, d'être plus qu'émoustillée par la vue des autres filles. Pire encore : celles qui me happent l'attention n'auront jamais pour moi un seul regard.

Le véritable drame de ma personne, c'est que l'Ingénue, dans son érotisme flamboyant, n'a pas un instant posé ses yeux sur moi. Je suis stupéfiée, rendue catatonique par une envie foudroyante de lui faire l'amour, et elle, eh bien, elle ne se souviendra pas de moi. Elle ne saura même pas que je l'ai remarquée. Quand bien même elle l'apprendrait, cela la laisserait totalement indifférente. Je meurs de désir pour quelqu'un qui n'en a que faire. Quelle idiote ! Comment pourrais-je croire qu'un tel concentré de beauté et de séduction s'inquiéterait de me plaire ? Comment puis-je seulement espérer qu'elle soit flattée de la fascination qu'elle exerce sur moi ? Je ne suis rien pour elle, rien qu'un non-garçon dénué d'intérêt par l'absence tragique de virilité entre mes jambes. Je brûle de lui dire combien sa façon de bouger attise mes penchants inconvenants, mais si je le faisais, elle me rirait au nez.

Il n'existe pas pire soufflet en ce monde que l'amusement narquois d'une fille qui vous refuse ses faveurs.

 

 

 

Yann le voit. Il me voit, minable, envieuse. Croupissant dans le bourbier de mes amours ambivalents. Pleurnichant devant mes espoirs de réciprocité en putréfaction.

 

« Toi, t'as envie d'une fille !» sur le ton de la plaisanterie pour cacher sa peine.

 

« Ta gueule. »

 

Ma rancœur en pleine figure. Le goût âpre de l'humiliation me fait vomir mes rêves. Je ne dois plus y penser, plus espérer. Je n'aurai jamais une fille comme ça. Je ne serai jamais un garçon.

 

 

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  • J'écris pour ne jamais oublier. L'embrasement de mes désirs comme la striction de mon cœur. Les trémulations vigoureuses de la vie et les coulées de silence de la mort. Tout, de plein fouet, avec la sensibilité qui est mienne et mon interprétation biaisée.
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